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souille par les crimes horribles qui obligent cet astre se cacher ds qu'il parat dans le noir Occident !
De Paris, le 5 de la lune de Rhamazan 1713.
Lettre XLVIII. Usbek Rhdi, Venise 71
Lettres persanes
Lettre XLIX. Rica Usbek, ***
Etant l'autre jour dans ma chambre, je vis entrer un dervis extraordinairement habill : sa barbe
descendait jusques sa ceinture de corde ; il avait les pieds nus ; son habit tait gris, grossier et, en quelques
endroits, pointu. Le tout me parut si bizarre que ma premire ide fut d'envoyer chercher un peintre pour en
faire une fantaisie.
Il me fit d'abord un grand compliment, dans lequel il m'apprit qu'il tait homme de mrite, et de plus
capucin. "On m'a dit, ajouta-t-il, Monsieur, que vous retournez bientt la cour de Perse, o vous tenez un
rang distingu ; je viens vous demander votre protection, et vous prier de nous obtenir du roi une petite
habitation, auprs de Casbin, pour deux ou trois religieux. - Mon pre, lui dis-je, vous voulez donc aller en
Perse ? - Moi, Monsieur ! me dit-il ; je m'en donnerai bien de garde. Je suis ici provincial ,et je ne
troquerais pas ma condition contre celle de tous les capucins du monde. - Et que diable me demandez-vous
donc ? - C'est, me rpondit-il, que, si nous avions cet hospice, nos pres d'Italie y enverraient deux ou trois
de leurs religieux. - Vous les connaissez apparemment, lui dis-je, ces religieux ? - Non, Monsieur, je ne les
connais pas. - Eh morbleu ! que vous importe donc qu'ils aillent en Perse ? C'est un beau projet de faire
respirer l'air de Casbin deux capucins ! cela sera trs utile et l'Europe et l'Asie ! il est fort ncessaire
d'intresser l-dedans les monarques ! Voil ce qui s'appelle de belles colonies ! Allez ! Vous et vos
semblables n'tes point faits pour tre transplants, et vous ferez bien de continuer ramper dans les endroits
o vous vous tes engendrs."
De Paris, le 15 de la lune de Rhamazan 1713.
Lettre XLIX. Rica Usbek, *** 72
Lettres persanes
Lettre L. Rica ***
J'ai vu des gens chez qui la vertu tait si naturelle qu'elle ne se faisait pas mme sentir : ils s'attachaient
leur devoir sans s'y plier, et s'y portaient comme par instinct. Bien loin de relever par leurs discours leurs
rares qualits, il semblait qu'elles n'avaient pas perc jusques eux. Voil les gens que j'aime ; non pas ces
hommes vertueux qui semblent tre tonns de l'tre, et qui regardent une bonne action comme un prodige
dont le rcit doit surprendre.
Si la modestie est une vertu ncessaire ceux qui le ciel a donn de grands talents, que peut-on dire de
ces insectes qui osent faire paratre un orgueil qui dshonorerait les plus grands hommes ?
Je vois de tous cts des gens qui parlent sans cesse d'eux-mmes : leurs conversations sont un miroir
qui prsente toujours leur impertinente figure. Ils vous parleront des moindres choses qui leur sont arrives, et
ils veulent que l'intrt qu'ils y prennent les grossisse vos yeux ; ils ont tout fait, tout vu, tout dit, tout
pens ; ils sont un modle universel, un sujet de comparaisons inpuisable, une source d'exemples qui ne
tarit jamais. Oh ! que la louange est fade lorsqu'elle rflchit vers le lieu d'o elle part !
Il y a quelques jours qu'un homme de ce caractre nous accabla pendant deux heures de lui, de son
mrite et de ses talents. Mais, comme il n'y a point de mouvement perptuel dans le monde, il cessa de
parler ; la conversation nous revint donc, et nous la prmes.
Un homme qui paraissait assez chagrin commena par se plaindre de l'ennui rpandu dans les
conversations. "Quoi ! toujours des sots qui se peignent eux-mmes, et qui ramnent tout eux ? - Vous
avez raison, reprit brusquement notre discoureur. Il n'y a qu' faire comme moi : je ne me loue jamais ; j'ai
du bien, de la naissance ; je fais de la dpense ; mes amis disent que j'ai quelque esprit ; mais je ne parle
jamais de tout cela. Si j'ai quelques bonnes qualits, celle dont je fais le plus de cas, c'est ma modestie."
J'admirais cet impertinent, et, pendant qu'il parlait tout haut, je disais tout bas : "Heureux celui qui a
assez de vanit pour ne dire jamais de bien de lui, qui craint ceux qui l'coutent, et ne compromet point son
mrite avec l'orgueil des autres ! "
De Paris, le 20 de la lune de Rhamazan 1713.
Lettre L. Rica *** 73
Lettres persanes
Lettre LI. Nargum, envoy de Perse en Moscovie, Usbek, Paris
On m'a crit d'Ispahan que tu avais quitt la Perse, et que tu tais actuellement Paris. Pourquoi faut-il
que j'apprenne de tes nouvelles par d'autres que par toi ?
Les ordres du roi des rois me retiennent depuis cinq ans dans ce pays-ci, o j'ai termin plusieurs
ngociations importantes.
Tu sais que le czar est le seul des princes chrtiens dont les intrts soient mls avec ceux de la Perse,
parce qu'il est ennemi des Turcs comme nous.
Son empire est plus grand que le ntre : car on compte mille lieues depuis Moscou jusqu' la dernire
place de ses Etats du ct de la Chine.
Il est le matre absolu de la vie et des biens de ses sujets, qui sont tous esclaves, la rserve de quatre
familles. Le lieutenant des prophtes, le roi des rois, qui a le ciel pour marchepied, ne fait pas un exercice
plus redoutable de sa puissance.
A voir le climat affreux de la Moscovie, on ne croirait jamais que ce ft une peine d'en tre exil ;
cependant, ds qu'un grand est disgraci, on le relgue en Sibrie.
Comme la loi de notre prophte nous dfend de boire du vin, celle du prince le dfend aux Moscovites.
Ils ont une manire de recevoir leurs htes qui n'est point du tout persane. Ds qu'un tranger entre dans
une maison, le mari lui prsente sa femme ; l'tranger la baise ; et cela passe pour une politesse faite au mari.
Quoique les pres, au contrat de mariage de leurs filles, stipulent ordinairement que le mari ne les
fouettera pas, cependant on ne saurait croire combien les femmes moscovites aiment tre battues : elles ne
peuvent comprendre qu'elles possdent le coeur de leur mari, s'il ne les bat comme il faut. Une conduite
oppose, de sa part, est une marque d'indiffrence impardonnable.
Voici une lettre qu'une d'elles crivit dernirement sa mre :
MA CHERE MERE,
Je suis la plus malheureuse femme du monde ! Il n'y a rien que je n'aie fait pour me faire aimer de mon
mari, et je n'ai jamais pu y russir. Hier, j'avais mille affaires dans la maison ; je sortis, et je demeurai tout
le jour dehors. le crus, mon retour, qu'il me battrait bien fort ; mais il ne me dit pas un seul mot. Ma soeur
est bien autrement traite : son mari la bat tous les jours ; elle ne peut pas regarder un homme, qu'il ne
l'assomme soudain. Ils s'aiment beaucoup aussi, et ils vivent de la meilleure intelligence du monde.
C'est ce qui la rend si fire. Mais je ne lui donnerai pas longtemps sujet de me mpriser. J'ai rsolu de
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