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les trônes et bouleversa profondément le monde occidental. Pendant vingt ans les
peuples se précipitèrent les uns sur les autres, et l'Europe connut des hécatombes qui
eussent effrayé Gengiskhan et Tamerlan. Jamais le monde ne vit à un tel degré ce que
peut produire le déchaînement d'une idée.
Il leur faut bien longtemps, aux idées, pour s'établir dans l'âme des foules, mais il
ne leur faut pas moins de temps pour en sortir. Aussi les foules sont-elles toujours, au
point de vue des idées, en retard de plusieurs générations sur les savants et les philo-
sophes. Tous les hommes d'État savent bien aujourd'hui ce que contiennent d'erroné
les idées fondamentales que je citais à l'instant, mais comme leur influence est très
puissante encore, ils sont obligés de gouverner suivant des principes à la vérité
desquels ils ne croient plus.
§ 2. - Les raisonnements des foules
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On ne peut dire d'une façon tout à fait absolue que les foules ne raisonnent pas et
ne sont pas influençables par des raisonnements. Mais les arguments quelles em-
ploient et ceux qui peuvent agir sur elles sont, au point de vue logique, d'un ordre
tellement inférieur que c'est seulement par voie d'analogie qu'on peut les qualifier de
raisonnements.
Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895). Édition publiée par Félix Alcan, 1905. 42
Les raisonnements inférieurs des foules sont, comme les raisonnements élevés,
basés sur des associations ; mais les idées associées par les foules n'ont entre elles que
des liens apparents d'analogie ou de succession. Elles s'enchaînent comme celles de
l'Esquimau qui, sachant par expérience que la glace, corps transparent, fond dans la
bouche, en conclut que le verre, corps également transparent, doit fondre aussi dans la
bouche ; ou celles du sauvage qui se figure qu'en mangeant le cSur d'un ennemi
courageux, il acquiert sa bravoure ; ou encore de l'ouvrier qui, ayant été exploité par
un patron, en conclut immédiatement que tous les patrons sont des exploiteurs.
Association de choses dissemblables, n'ayant entre elles que des rapports appa-
rents, et généralisation immédiate de cas particuliers, telles sont les caractéristiques
des raisonnements des foules. Ce sont des raisonnements de cet ordre que leur
présentent toujours ceux qui savent les manier ; ce sont les seuls qui peuvent les
influencer. Une chaîne de raisonnements logiques est totalement incompréhensible,
aux foules, et c est pourquoi il est permis de dire qu'elles ne raisonnent pas ou raison-
nent faux, et ne sont pas influençables par un raisonnement. On s'étonne parfois, à la
lecture, de la faiblesse de certains discours qui ont eu pourtant une influence énorme,
sur les foules qui les écoutaient ; mais on oublie qu'ils furent faits pour entraîner des
collectivités, et non pour être lus par des philosophes. L'orateur, en communication
intime avec la foule, sait évoquer les images qui la séduisent. S'il réussit, son but a été
atteint ; et vingt volumes de harangues - toujours fabriquées après coup - ne valent
pas les quelques phrases arrivées jusqu'aux cerveaux qu'il fallait convaincre.
Il serait superflu d'ajouter que l'impuissance des foules à raisonner juste les empê-
che d'avoir aucune trace d'esprit critique, c'est-à-dire, d'être aptes à discerner la vérité
de l'erreur, à porter un jugement précis sur quoi que ce soit. Les jugements que les
foules acceptent ne sont que des jugements imposés et jamais des jugements discutés.
A ce point de vue, nombreux sont les hommes qui ne s'élèvent pas au-dessus de la
foule. La facilité avec laquelle certaines opinions deviennent générales tient surtout à
l'impossibilité où sont la plupart des hommes de se former une opinion particulière
basée sur leurs propres raisonnements.
§ 3. - L'imagination des foules
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De même que pour les êtres chez qui le raisonnement n'intervient pas, l'imagina-
tion représentative des foules est très puissante, très active, et susceptible d'être vive-
ment impressionnée. Les images évoquées dans leur esprit par un personnage, un
événement, un accident, ont presque la vivacité des choses réelles. Les foules sont un
peu dans le cas du dormeur dont la raison, momentanément suspendue, laisse surgir
dans l'esprit des images d'une intensité extrême, mais qui se dissiperaient vite si elles [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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